La lutte anti-drone à Eurosatory 2022

Après quatre années d’absence suite à l’annulation de l’édition 2020, le salon de l’armement terrestre Eurosatory s’est bien tenu cette année. Parmi les nombreuses nouveautés exposées, les solutions de lutte anti-drone occupaient une place importante. C’était donc l’occasion parfaite pour compléter le précédent article Quels effecteurs pour la défense anti-drone de demain? avec des informations plus récentes et d’aller au-delà des seuls effecteurs.

Sur beaucoup de stands, en particulier chez les systémiers/intégrateurs, l’accent était mis sur la présentation de solutions intégrées, alliant capteurs, effecteurs et éventuellement un système C2 de commandement et contrôle, même si ce dernier est en général moins visible.

Hornet Air Guard

Le Hornet Air Guard. Les capteurs sont visibles en bas

Par exemple Hornet, la division tourelleaux d’Arquus, présentait le Hornet Air Guard. Schématiquement, il s’agit d’un tourelleau Hornet T1 comme on en trouve sur les Griffon, mais où la mitrailleuse 12.7 a été remplacée par un lance-grenade de 40mm avec fonction airburst, et où l’anneau indépendant qui porte normalement les pots fumigènes porte à la place des capteurs, à savoir un radar plaque et un capteur RF passif de Cerbair. L’anneau tourne de secteur en secteur, permettant d’offrir une couverture à 360° si besoin, et ce avec un seul panneau plan à la place de quatre sur les solutions à panneaux fixes, ou de se concentrer sur un secteur. Globalement, la solution est assez similaire au système ARLAD de l’armée de terre qui marie aussi un LGA de 40mm et un radar. Un des intérêts du Hornet Air Guard est qu’il est possible de rétrofitter des tourelleaux T1 avec ce système. La portée en tir tendu des grenades est de quelques centaines de mètres, au-delà des trajectoires en cloche doivent être adoptées, avec un temps de vol plus long et moins de précision.

ARX30

L’ARX30 NEROD

Toujours chez les fabricants de tourelleaux mais côté Nexter cette fois-ci, l’ARX30 récemment annoncé se montrait pour la première fois. Ce tourelleau léger de 30×113, dérivé du canon de l’hélicoptère Tigre, était présenté sur deux blindés: d’abord un Titus de Nexter, où il était montré dans sa configuration NEROD, c’est à dire avec le fusil brouilleur du même nom accolé au canon. Ce fusil est également celui utilisé par les fusiliers de l’air pour la protection des bases aériennes. Deuxièmement, il faisait également partie du “concept char” EMBT, constitué d’une tourelle novatrice sur un châssis de Leopard 2. L’addition de l’ARX permet de protéger cette unité de forte valeur face aux drones. Ce calibre est promis à une large diffusion, par exemple l’américain General Dynamics a d’ailleurs révélé une image de la prochaine évolution du char M1 montrant également un tourelleau 30×113.

Un angle de l’EMBT montrant bien l’ARX30 trônant sur une tourelle assez chargée

Comme indiqué sur la fiche ci-dessus, l’ARX30 vient en plusieurs versions. La version NEROD a déjà été présentée. La version C-UAV intègre un radar TeraHertz MATIA de MC2 Technologies, qui fabrique également le NEROD. Cette version est capable de tirer des obus avec fusée chronométrique ou de proximité. La mise en avant de la fusée de proximité est assez curieuse, parce que Nexter dans sa communication sur le RapidFire souligne que la faible signature radar des petits drones fait qu’ils ne déclenchent pas forcément ce type de fusée. De plus, elle n’est pas adaptée à une utilisation contre des objectifs au sol, ce qui pose un problème vu que l’ARX30 comme tous les canons de 30×113 ne peut emporter qu’un seul type d’obus. La fusée chronométrique semble beaucoup plus appropriée.

RapidFire

En parlant de RapidFire, Nexter et Thales ont récemment présenté le premier exemplaire de ce système commandé par la marine pour ses futurs pétroliers-ravitailleurs. L’obus A3B est annoncé pour une portée de 3.5-4km sur des objectifs aériens, et était également exposé. Il semble avoir pris un peu de volume par rapport aux concepts initiaux, probablement suite à un compromis différent entre vitesse et charge utile

Les différents obus du 40CTA, l’A3D est ici appelé KE-AB

On pouvait voir sur le stand Arquus une maquette de tourelle rapidFire sur le même chassis 6×6 que les canons Caesar, une idée intéressante pour protéger un groupe de pièces.

Serval ATLAS RC

Pour finir avec le stand Nexter ou plutôt KNDS, on voyait également sur le stand un Serval ATLAS RC, qui est un Serval avec un tourelleau spécial emportant deux missiles Mistral en plus de la mitrailleuse habituelle. Le Mistral étant la dernière capacité anti-aérienne survivant dans l’armée de terre, ce concept vise probablement une intégration au programme Scorpion pour remplacer les affuts manuels Mistral de l’artillerie française par un système pouvant être servi sous blindage et pouvant être pointé sur désignation du réseau, un minimum à l’ère du combat collaboratif.

Le Serval ATLAS RC

Il faut noter que la fiche de Nexter annonce que la solution est en développement, et que des bruits courent comme quoi l’armée de terre l’aurait effectivement commandée.

Laser HELMA-P

Sur le stand MBDA, on pouvait voir leur véhicule anti-drone Sherpa avec l’arme laser HELMA-P de CILAS, quatre radars plans Xenta donnés pour une portée de 5km de portée, un Hornet avec LGA de 40mm (ce qui est nouveau, précédemment ce véhicule était présenté avec une mitrailleuse), un capteur RF passif de Cerbair ainsi que des drones intercepteurs. La plus-value de MBDA est d’intégrer tout les sous-systèmes dans sa solution Sky Warden, et de développer les drones intercepteurs. Plus de détails sur ceux-ci ont été révélés. Ils ont une portée de 1000m et sont dotés d’un capteur infrarouge, potentiellement en infrarouge proche avec un illuminateur vu que les drones électriques cibles ont une signature thermique extrêmement faible et qu’un capteur infrarouge thermique coute plus cher.

Du côté de CILAS, il y a eu de bonnes nouvelles lors du salon puisque l’industriel a reçu le prix ingénieur général Chanson, qui récompense les travaux ayant fait progresser le domaine de l’armement terrestre, pour le développement du laser HELMA-P. On peut donc penser que la DGA a été très satisfaite des performances du système, qui est un laser de 2kW capable de neutraliser les drones jusqu’à au moins 1km. Le ministère des armées montrait sur son stand les résultats de l’arme sur les drones cibles:

On voit bien très petite la taille de la tache laser, qui confère à l’arme un effet très maitrisé et permet pour une puissance réduite de brûler plus rapidement à travers l’épaisseur de la cible. Par contre, cela oblige à viser précisément, idéalement en visant le point de plus forte vulnérabilité de la cible, ce qui peut demander une connaissance fine des différents drones ennemis. Cela étant, les essais visaient à abattre les drones, mais une utilisation pratique peut constituer à les neutraliser en brûlant leur caméra et les rendant aussi aveugles, et cette vulnérabilité est présente sur tous les drones et facile a identifier.

CILAS a également communiqué sur les prochaines étapes pour l’arme laser. Un des objectifs est d’augmenter la portée à 8km, en combinant la puissance de plusieurs fibres lasers. Un autre est d’intégrer l’arme sur véhicule et sur navire. Il y a également la problématique de neutraliser tout un essaim de drone en un temps court. L’entreprise travaille également sur des armes laser de plus forte puissance, en particulier dans le cadre d’un projet européen dénommé TALOS

Finalement, CILAS présentait un concept de HELMA-P intégré sur un petit véhicule autonome de 3 mètres de long, qui montre bien la faible empreinte du système en terme de volume et de besoin de puissance:

HELMA-P sur un ROBBOX de SERA ingénierie

Rheinmetall

Du côté de l’industriel allemand Rheinmetall, on pouvait voir le Boxer Syranger30 de défense aérienne, qui embarque un canon de 30mm et quatre radars plans.

L’industriel a également communiqué en amont du salon sur les essais de son arme laser anti-drone, qui consiste en un conteneur de vingt pieds contenant un laser à fibre de 10kW. Cette puissance est obtenue par combinaison incohérente de cinq faisceaux de 2kW, chacun issu d’une fibre séparée opérant à une longueur d’onde différente. La combinaison incohérente est plus facile à réaliser que la combinaison cohérente mais a le désavantage de créer une tache laser plus large, donc de demander plus de puissance pour le même effet sur la cible. Le projet européen TALOS, dirigé par CILAS mais dont Rheinmetall n’est pas membre (bien que le DLR allemand le soit), vise donc a développer un laser de plus de 100kW à combinaison cohérente pour obtenir une forte puissance tout en gardant une taille de tache faible.

En comparant les performances du système de Rheinmetall avec celui de CILAS, on peut remarquer que les deux entreprises annoncent une portée similaire de 1km, mais celui de Rheinmetall a besoin de 5 fois plus de puissance et un volume d’équipement bien supérieur (bien que le conteneur inclue la station de l’opérateur).

L’objectif de Rheinmetall est d’augmenter la puissance du laser à 20-50kW et de l’intégrer à la tourelle Skyguard comme sur cette maquette, qui dispose également de missiles courte portée pour faire bonne mesure:

Le point de vue des forces

L’armée de terre donnait plusieurs conférence lors du salon, avec deux axes: les RETEX de différents systèmes en bande sahélo-saharienne, et la préparation futur autour du programme TITAN.

MILAD

Un des RETEX portait sur la lutte anti-drone. L’officier en charge de la défense anti-drone d’une des bases en BSS détaillait ses difficultés, vu qu’à la fois les capteurs initialement à sa disposition (radars NC1, caméras thermiques des affuts Mistral, et l’oeil des personnels) ne détectaient rien de pertinent, et les effecteurs (lutte toutes armes à coup de 5.56 ou de 20mm, fusils de 12 avec munitions de ball trap) ont une portée efficace nulle ou extrêmement réduite (75m pour le calibre 12).

Heureusement, l’arrivée du système MILAD sur la base a permis d’apporter une vraie capacité. Le système est constitué d’un mat capteurs avec un radar et des systèmes optroniques, ainsi que quatre mats brouilleurs, avec chacun des brouilleurs directionnels portant à plus d’un kilomètre. Le système a prouvé son efficacité, tout en faisant également office de détecteur de mouvement sur des mobiles terrestres. Des améliorations sont néanmoins attendues, ainsi qu’une capacité anti-drone sur véhicule que MILAD ne fournit pas.

Sol-Air Basse Couche

L’autre conférence sur le sujet portait sur la future capacité de défense anti-aérienne sol-air basse couche. Sur ce sujet, le bureau plans de l’état-major de l’armée de terre réfléchit à la réponse à apporter, sachant que la menace aérienne s’est à la fois diversifiée, les drones et munitions rôdeuses venant s’ajouter aux traditionnels avions et hélicoptères ennemis, et surtout intensifiée. Bien que le nombre d’avions et d’hélicoptères soit à la baisse un peu partout, l’essor des nouveaux systèmes fait que la menace aérienne est au moins dix fois plus intense qu’avant. De plus, les systèmes avancés de missiles anti-aériens font que la couverture par la chasse amie n’est plus garantie. Il y a donc besoin d’une trame capable de lutter contre tout un éventail de menaces, avec comme toujours un compromis à faire entre performance et masse.

Un axe d’analyse important est la portée des systèmes ennemis et donc sur quelle profondeur du dispositif ami ils peuvent intervenir. Comme le montre le schéma ci-dessus, l’autonomie limitée des petits hélidrones fait qu’ils vont intervenir près de la ligne de front, au niveau des GTIA amis. Les munitions rôdeuses et petits drones ailés peuvent aller plus loin, et couvrir la zone occupée par les brigades, en rouge, où l’on va trouver de l’artillerie comme les CAESAR par exemple. Les drones moyens comme le TB-2 peuvent quant à eux aller jusqu’au début de la zone arrière de la division, en orange, ou l’on retrouve des moyens tels que les LRU et le ou les PC de la division. Les avions et hélicoptères sont capables d’intervenir partout mais plutôt destinés à opérer dans la profondeur de la zone arrière de la grande unité, où les objectifs ont une plus forte valeur ajoutée et les défenses moins denses.

Pour répondre à cela, l’EMAT réfléchit à un triptyque composé de capteurs, d’effecteurs et d’un C2 pour coordonner le tout. Au niveau des capteurs, on trouverait des radars haute performance à longue portée, tels que le GM60 que l’armée de terre devrait recevoir vers 2025, pour couvrir un maximum de surface et de profondeur, et détecter les cibles de taille moyenne évoluant suffisamment haut. En complément, vu que les masques du terrain créeront des zones d’ombre pour ces systèmes avancés, des radars plus petits, moins chers et à plus courte portée tels que les panneaux plaques sur l’illustration seraient déployés dans les trous de couverture. Cela n’a pas été dit mais on retrouverait aussi probablement ces moyens près du front pour détecter les petits hélidrones, vu que c’est là qu’ils vont opérer et que leur signature extrêmement faible et leur altitude en général réduite font qu’il est peu probable qu’ils soient détectables à longue portée même avec des radars très performants.

Du côté des effecteurs, on s’oriente vers un panachage de canons, missiles et armes à énergie dirigée comme le laser mais aussi les micro-ondes de fortes puissance. Le laser est décrit comme prometteur mais ayant encore besoin de développements. Coté missile, il y a une réflexion sur la performance cinématique attendue: si les avions de combats ennemis représentent une menace minoritaire face aux drones qui évoluent beaucoup moins vite et avec beaucoup moins d’agilité (voir aucune en pratique si ils n’ont pas de détecteur d’alerte missile), a-t-on encore besoin de missiles très rapides et maneuvrants?

Il faut noter que le Serval ATLAS RC n’a pas été mentionné durant la présentation, mais il s’insérerait bien dans la trame comme un moyen déployé dans la zone arrière de la division pour lutter contre les hélicoptères ennemis. Des moyens plus conséquents seront néanmoins nécessaires pour couvrir cette zone contre les autres menaces, le Mistral ayant une portée et un plafond assez limités.

Ces capteurs et effecteurs pourraient également servir à défendre des objectifs à forte valeur ajoutée contre des munitions d’artillerie, mais la meilleure défense reste encore d’aller frapper les lanceurs, capteurs ou systèmes de commandements ennemis.

Conclusion

Avec les nombreuses solutions présentées, le salon montre bien la problématique posée par la lutte anti-drones et les efforts menés pour y répondre. Si pour l’instant aucun pays européen n’a dévoilé une trame complète, les briques existent pour des solutions pouvant être déployées rapidement, et les travaux sont en cours pour définir et réaliser les systèmes plus avancés tels que les lasers.

2 thoughts on “La lutte anti-drone à Eurosatory 2022

  1. A noter également sur le Sherpa de MBDA la présence d’un brouilleur tactique MAJES de MC2 Technologies avec ses antennes omnidirectionnelles sur le mat télescopique. Ce type de système permet de faire face à une attaque d’essaim de drones en générant une bulle de brouillage à 360°.
    Le véhicule emportait également un fusil brouilleur de drone NEROD dans le coffre afin d’offrir une solution de brouillage directionnel débarqué.
    Le NEROD RF produit par MC2 Technologies vient d’être livré aux armées françaises afin de succéder au NEROD F5.

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