Les conflits récents en Syrie ou au haut-Karabagh ont montré le rôle de plus en plus important des drones dans le combat terrestre moderne. Côté français, l’Armée de Terre s’est dotée d’une trame drone quasi complète, allant du minuscule black hornet qui rentre dans la poche d’un fantassin, au Patroller, qui a une envergure de 18 mètres et une endurance de 24 heures.
Néanmoins, il ne suffit pas de pouvoir employer soi-même des drones. Il faut également pouvoir se prémunir de leur emploi par l’adversaire, qu’il soit un groupe armé ayant acheté des modèles civils ou une armée régulière de premier plan.
Il se trouve que la défense sol-air courte portée étant le parent pauvre des armées françaises, les capacités actuelles sont extrêmement limitées. Il faudra donc se doter d’un système complet combinant des capteurs, des effecteurs capables de neutraliser la menace, et un système de commandement associé. Si pour la défense d’infrastructures fixes le programme PARADE a été lancé par la DGA, avec pour objectif de protéger les JO de Paris en 2024, tout reste à faire pour la couverture d’une force en mouvement. Quelles sont donc les différentes options possibles pour neutraliser les drones adverses?
L’ambition capacitaire
Afin de commencer à cerner le besoin de l’Armée de Terre, il faut étudier le contexte dans lequel le système anti-drone serait employé. L’ambition capacitaire de la France est d’être capable de déployer une division de 20 000 hommes dans un engagement de haute intensité face à un ennemi symétrique. Un tel conflit, dans les marches de l’Europe, face à un adversaire étatique de haut niveau technologique et nombreux, est probable. Par exemple, contrer une offensive russe pour défendre les pays baltes, ou turque dans un conflit avec la Grèce et Chypre, sont deux scénarios malheureusement réalistes.

Cette division sera composée de plusieurs brigades interarmes, elles-mêmes déclinées en groupes tactiques interarmes (GTIA). Les GTIA sont le pion de base de la manœuvre. La nouvelle doctrine d’emploi des GTIA recevant les matériels de dernière génération Scorpion est en cours d’écriture, mais les travaux préliminaires font mention d’une composition avec un échelon de découverte, destiné à déterminer les contours du dispositif ennemi et idéalement à le forcer par le combat à révéler ses moyens lourds. L’échelon d’assaut, plus nombreux, est là pour emporter la décision une fois les moyens lourds ennemis repérés. La distance entre les deux échelons pouvant dépasser la vingtaine de km, l’échelon de découverte devra disposer de ses propres moyens de défense basse couche, avec une haute mobilité.
Selon sa brigade d’origine, un GTIA sera soit lourd (avec des chars Leclerc et des engins de combat de l’infanterie VBCI, ou leurs successeurs), médian (avec des blindés Jaguar et Griffon) ou léger (avec des Jaguar et Serval, ou même sans véhicule blindé pour les parachutistes)
Il faut donc un système anti-drone capable de s’adapter à ces différents porteurs, de manière à être suffisamment mobile pour ne pas freiner la manœuvre.
La menace
Parler de drones en général n’a pas beaucoup de sens, tant il en existe de modèles variés et n’ayant pas grand-chose en commun. Par exemple, un drone Global Hawk de 14 tonnes volant à 20 000 mètres ne pose pas vraiment les mêmes problématiques qu’un petit quadcoptère du commerce. L’OTAN a établi une typologie qui bien que répandue reste perfectible:

Les drones qui relèvent de la défense basse couche assurée par l’armée de Terre sont les catégories I et II. La catégorie III est constituée de drones avec des gabarits d’avions pilotés, donc chers donc en nombre limité, volant haut, et restant (pour ceux qui ne sont pas furtifs) en retrait derrière les lignes ennemies. Ils relèvent de la défense sol-air longue portée assurée par l’Armée de l’Air, qui elle dispose de systèmes SAMP/T performants pour ce faire.
Dans les catégories I et II, on peut affiner la classification selon deux critères:
- D’une part, le principe physique qui maintient le drone en l’air, c’est à dire si c’est un drone avion avec des ailes ou un drone hélicoptère. La distinction a une importance, car les drones hélicoptères ont en général une charge utile, une altitude de vol et une endurance bien plus faibles, en particulier lorsqu’ils sont comme souvent à énergie électrique. En contrepartie, ils sont bien plus rapides à mettre en œuvre. Ils sont donc préférés pour les drones portés par l’infanterie.
- D’autre part, la mission du drone, qui est en général soit l’observation (typiquement une avec boule optronique, plus rarement un radar dans ces catégories), soit une mission de frappe (avec une charge explosive). On parle plutôt de munitions rôdeuses pour la deuxième catégorie, mais la frontière est mince vu que pour frapper précisément, une munition rôdeuse a de toute façon besoin d’une capacité d’observation à base de boule optronique. La principale différence réside dans le profil de vol: un drone d’observation pourra rester à moyenne altitude, une munition finira par descendre et se rapprocher d’une unité ennemie dans sa phase d’attaque.
Pour sortir des concepts, voici quelques exemples concrets:

Du côté des petits hélidrones issus du commerce, on trouve le DJI Mavic 2, qui pour un poids de 1kg emporte une caméra avec voie infrarouge. Il peut opérer jusqu’à une distance de 10km, et a 30 minutes d’autonomie. L’altitude maximale est de 5000 mètres mais la dépense d’énergie pour atteindre cette altitude et y rester n’en vaut pas la chandelle car cela réduit considérablement l’autonomie. Son emploi se fait donc beaucoup plus proche du sol. Ces caractéristiques sont assez représentatives de ce que peuvent faire des petits quadcoptères légers
Le pendant côté munition rôdeuses est le Kargu turc, un quadcoptère de la même taille mais qui emporte une charge militaire de 1.3kg.

Dans le domaine des drones ailés d’observation, un bon exemple est le SMDR illustré ci-dessus et récemment adopté par l’armée française. Bien qu’à propulsion électrique (pour un maximum de discrétion), il est capable de rester en l’air trois heures, d’opérer à 30km de distance et 4500m d’altitude , et embarque une boule optronique performante qui réunit dans moins de 1kg un capteur optique full HD avec zoom optique x10, un capteur infrarouge, un télémètre laser et potentiellement un désignateur laser. Pour l’instant les images sont transmises à un opérateur au sol pour analyse, mais dans un futur proche des images grand champs couplées à des algorithmes de détection de mouvement (dans l’optique) ou de détection de points chauds (dans l’infrarouge) pourront automatiser le processus de détection, allégeant grandement le volume de données à transmettre et la charge de travail de l’opérateur. Ce genre de systèmes est déjà disponible sur le Kargu. Les progrès de l’intelligence artificielle permetteront de détecter et classifier des véhicules fixes, ou même des fantassins. De tels drones menacent donc de rendre transparent le dispositif déployé sous leurs ailes. Un ennemi équipé avec pourra donc manœuvrer et guider ses feux avec un énorme avantage. Lui crever les yeux est alors primordial.
L’équivalent côté munitions rôdeuses est par exemple l’Orbiter 1k, pesant 11kg dont 2.6kg de charge militaire, avec une endurance de 3h et un plafond de vol de 6000m, ou le Hero 120 de UVision (qui dispose d’une gamme très intéressante de munitions rôdeuses, avec des munitions de 2kg à 125kg)
Les effecteurs

Le brouillage
Le brouillage est la solution anti-drone la plus commune actuellement, parce qu’elle s’intègre bien dans un environnement civil: il n’y a pas de projectile donc pas de risque de dégâts collatéraux.
Le premier type de brouillage est de brouiller le GPS pour les drones qui l’utilisent pour se positionner. Cependant, les drones modernes peuvent également se positionner très précisément en utilisant leur caméras embarquées, et le brouillage GPS peut également gêner des utilisateurs légitimes si il n’est pas directionnel.
Le brouillage de la liaison de données est plus intéressant. En cas de perte de la liaison avec l’opérateur, la plupart des drones sont programmés pour retourner à leur point de lancement, ce qui peut même révèler la position de l’opérateur. Même si la liaison est maintenue, brouiller le canal de réception de l’opérateur permet de réduire le débit du flux vidéo, et donc d’en dégrader la qualité au point de le rendre idéalement inutilisable. Néanmoins, les solutions de détection automatique mentionnées plus haut vont énormément réduire le besoin en flux vidéo continu. Seule une poignée d’images auront besoin d’être envoyées à l’humain pour qu’il confirme ou infirme la détection. Dans un usage militaire, face à un ennemi équiper de drones évolués, le brouillage radio n’est donc pas une solution d’avenir.
On peut également brouiller les capteurs du drone, en aveuglant sa caméra avec un laser de faible puissance par exemple. Il faut par contre maintenir le laser en permanence sur l’objectif, et donc un tel système ne peut traiter qu’un seul drone à la fois, et seulement si le drone regarde dans la direction du laser. Ce n’est donc pas non plus très efficace.
Les armes à feu
Si dans un usage civil on évite les solution à base de projectiles, ce n’est pas une contrainte pour la protection d’une force blindée. Il y a donc tout un panel d’options de différents calibres à passer en revue.
Mitrailleuse de 12.7
Le tourelleau T1 avec mitrailleuse de calibre 12.7 est l’armement principal des nouveaux véhicules de transport de troupe Griffon introduits par le programme Scorpion. Ce calibre a l’avantage d’avoir une portée importante tout en ayant un encombrement réduit, permettant d’emporter beaucoup de coups. Il est donc polyvalent, pouvant à la fois servir contre de l’infanterie et des véhicules peu blindés. Il a été sélectionné par la STAT pour le premier incrément de la capacité intérimaire de lutte anti-drone, le VAB ARLAD, qui marie un tourelleau 12.7 à un radar issu du système MILAD. La destruction du drone nécessitant un impact direct, la portée est limitée par la précision du pointage ainsi que la dispersion de l’arme. Cela limite la portée à 700 mètres.
Le tourelleau T1 est capable de 60° de débattement et d’une vitesse de pointage de 90°/s.
Lance-grenade de 40mm
Le tourelleau T1 est également capable d’emporter un lance-grenade automatique de 40x53mm. Cette arme tire des projectiles subsoniques (~250m/s) qui peuvent être dotés d’une fonctionnalité airburst pour exploser après un temps de vol donné. C’est la solution que la STAT a incorporé pour l’incrément 2 de ARLAD. Le rayon de destruction efficace d’une grenade contre un drone est d’une dizaine de mètres selon la STAT. La Bundeswehr a également retenu le lance-grenade de 40mm avec munition airburst pour son véhicule anti-drones.
La portée pratique est de 1500m d’après les fabricants, mais ils considèrent une cible statique. La faible vitesse de la munition fait qu’un drone qui manœuvre un peu a des chances de lui échapper à longue portée, le temps de vol étant de plus de 6s à 1500m.
Là encore, l’arme est polyvalente, pouvant servir contre de l’infanterie voir de véhicules légers, potentiellement avec des tirs indirects, en plus de la lutte anti-drone. On pourrait imaginer que dans une section d’infanterie, l’un des Griffon emporte un 40mm et les autre des 12.7.
Canon de 30x113mm
Le canon de 30×113 combine les avantages du lance-grenade et de la mitrailleuse de 12.7. En effet, il peut tirer des obus airbursts (General Dynamics a développé le XM1211 avec airburst et fusée de proximité spécifiquement pour la lutte anti-drones) et le projectile va à une vitesse élevée (~800m/s). Cela devrait permettre une portée efficace accrue même contre des drones en évolution. Cependant, l’obus a une relativement faible quantité de poudre, ce qui fait que l’arme recule peu et peut donc être relativement facile intégrée en tourelleau, avec une masse et un encombrement réduit.
Le 30×113 a été choisi par les US Marines pour leur système de défense basse couche MADIS, en complément d’une 12.7 et de missiles Stinger:

Du côté français, le 30×113 en tourelleau pourrait remplacer le tourelleau T1 d’un Griffon, même si le poids est un peu plus élevé (350kg sans arme ni munition vs 200kg pour un T1). Il pourrait également être installé en remplacement des tourelleaux de 12.7 prévus sur les Leclerc XLR pour donner une meilleure capacité anti-drones aux véhicules de première ligne les plus cruciaux. Pour les Jaguar, leur tourelleau de 7.62 couplé au viseur chef est tellement spécifique et intégré à l’architecture du véhicule qu’il est difficile d’envisager de le remplacer. Enfin, le VBAE semble être prévu avec un tourelleau en 30×113, ce qui lui conférerait nativement une capacité, à l’instar du MADIS. Néanmoins, le débattement et la vitesse de pointage du tourelleau doivent être suffisamment élevés pour être pleinement efficace dans ce rôle.

Nexter a récemment annoncé le développement d’un tourelleau ARX en 30×113, avec une masse de 300 à 400kg pour entre 100 et 200 coups. L’entreprise oriente ce système vers la défense contre les munitions rôdeuses.
Canons de 20/25/30mm
Les autres canons de petit calibre en 25×137 ou 30×173 peuvent également être considérés. Le VBCI est par exemple équipé d’un 25×137, dont les obus sont plus rapides qu’un 30×113. Cependant, c’est aux prix d’un canon plus long, de plus d’encombrement et d’un recul plus élevé, ce qui rend son intégration en tourelleau plus ardue: l’ARX25 de Nexter pèse 900kg en ordre de combat, ce qui en fait plus une tourelle qu’un tourelleau. Par contre, l’utilisation d’obus airburst sur le VBCI pourrait lui conférer une capacité, dans les limites de pointage de sa tourelle.
Les canons de 25mm ont l’avantage d’avoir une double alimentation, ce qui permet d’emporter à la fois des obus airburst servant contre les drones et l’infanterie, et des obus flèches de 25mm servant contre les blindés. Ils sont donc plus polyvalents, grâce à la vitesse supplémentaire du 25mm comparé au 30×113, qui lui ne dispose pas de munitions flèches, et leur obus airburst porte plus loin (typiquement 2500m contre 1500m).
Des tourelleaux plus légers de 25mm existent, comme l’ARX25 LP de Nexter ou le CLWS 25 de Cockerill. Leur masse est autour de 500kg mais ils sacrifient pour cela l’emport de munitions et la double alimentation, ce qui leur enlève leurs avantages par rapport à un 30×113.
Le 30×173 présente les mêmes problèmes d’intégration en tourelleau de manière exacerbée et n’est donc pas une option en-dehors de véhicules dédiés.
A l’opposé, le 20×102 est probablement aussi ou plus facile à intégrer que le 30×113, et a l’avantage d’avoir un projectile 25% plus rapide, mais presque trois fois moins lourd, donc avec moins d’effet terminal qu’un 30×113. Sa portée pratique étant équivalente à ce dernier, il est donc moins intéressant.
Canon 40CTA
Le 40CTA est un calibre à étudier à part, pour deux raisons. D’une, il équipe les Jaguar et donc va prochainement entrer en service dans l’armée de Terre. De deux, il va également équiper les tourelles RapidFire de la Marine, spécifiquement dédiées à la lutte antiaérienne courte portée, et qui armeront les ravitailleurs et les patrouilleurs océaniques. A ce titre, une munition spéciale A3B (Anti-Aerial AirBurst) doit être développée. Tout sera donc en place pour une adoption de cette même tourelle dans un rôle similaire sur véhicule terrestre. D’ailleurs, dans ArtiMag n°23, on peut voir que cette solution est très sérieusement considérée pour un emport sur Griffon:
Cependant, cette solutions souffre de certains défauts. D’abord, il est fort peu probable qu’on puisse l’intégrer sur le toit pour des raisons de centrage des masses (elle pèse 3.5t) et donc de mobilité. D’ailleurs si sa masse dépasse la marge de croissance du Griffon, il faudra rogner sur autre chose, probablement la protection du compartiment arrière. Cela, plus évidemment le prix de la tourelle, rendent très improbable son intégration sur un Griffon en configuration transport de troupes. Il faudrait donc l’intégrer sur un véhicule dédié, ce qui ouvre l’option de remplacer tout le compartiment arrière par la tourelle et ainsi régler les problèmes de centrage et de poids, mais signifie que sa présence sera rare. Il ne pourra pas y en avoir un par section, et peut-être pas un par compagnie. Son utilité pour défendre une force dispersée contre des drones détectés tardivement, parce que discrets ou volant à basse altitude, est donc très limitée. Par contre, il pourrait être intéressant pour protéger des points d’intérêt, par exemple une batterie d’artillerie, contre des munitions rôdeuses en les interceptant en phase terminale. Cela obligerait par contre à concentrer les moyens, alors que la doctrine Scorpion prévoit plutôt de disperser les moyens mais concentrer les effets.
A l’opposé du spectre de la menace, le 40CTA n’est pas vraiment adapté non plus à la lutte contre des drones volant haut. Sa portée avec l’obus A3B est indiquée à 4km , et si l’on se base sur les données pour le 40mm Bofors qui a un obus assez similaire, son plafond est de 7km et son plafond pratique est de 4km également (contre des avions à hélice, probablement plus contre des drones). C’est donc trop peu pour atteindre des drones ailés volant à 6km d’altitude, à part pile au-dessus du canon, et donc empêcher l’ennemi de disposer en permanence d’yeux au-dessus de la force.
Il ne faudrait donc pas tomber dans le syndrome de “quand on a un marteau, tous les problèmes ressemblent à un clou” et n’envisager que le RapidFire comme solution, même si c’est la solution facile du point de vue de la politique industrielle.
Canons de calibre supérieur
Comme on l’a vu, engager des drones ailés volant près de leur plafond de 6 à 7 km d’altitude nécessite un calibre supérieur au 40CTA. La solution idéale serait capable d’interdire aux drones un cylindre de 7km de haut et de quelques km de rayon, idéalement la portée des boules optronique ennemi plus la distance de sécurité entre le système et la première ligne, donc probablement une petite dizaine de km.
Les Russes ont récemment introduit un nouveau calibre de 57mm et ont développé un blindé anti-aérien autour, le 2S38 Derivatsiya:

Conjointement, ils développent un obus de 57mm guidé sur faisceau pour l’anti-aérien. La portée pratique avec ce système semble être de 6km sur cible aérienne.

Avec une portée de 6km, on peut s’attendre à un plafond pratique équivalent voire légèrement supérieur contre des drones, ce qui rend ce calibre limité pour assurer une bulle de protection. Au passage, on peut noter que le 2S38 n’emporte pas de radar et utilise uniquement un capteur optronique, ce qui va limiter ses performances de détection et même de contrôle de tir contre des drones électriques, qui signent peu dans l’infrarouge. De nuit sur fond nuageux les choses risquent d’être compliquées.
Heureusement, des solutions similaires existent du côté occidental . La Royal Navy va introduire des 57mm Bofors sur ses nouvelles frégates. Cela reste un calibre assez proche du 40mm, ce qui permet d’illustrer le coût d’un obus airburst de moyen calibre: 5000€ par obus 3P de 57mm (qui a une fusée de proximité qui apparemment n’est pas présente sur l’A3B). Par contre, le gain de performance par rapport au RapidFire ne sera peut-être pas assez intéressant pour justifier l’achat d’une solution suédoise.
Les italiens ont développé par le passé le Draco, un 8×8 portant une tourelle de 76mm. Le 76, utilisé dans la Marine, est un calibre intéressant. Je n’ai pas trouvé le plafond pratique du 76 OtoMelara mais le 76mm naval chinois a un obus de masse similaire, une portée surface-surface similaire et est donné pour 11km de plafond. Il en existe d’ailleurs des versions terrestres données pour 8km de plafond, 10km de portée contre les avions, curieusement seulement 6 contre les drones, cela étant probablement du à un obus pas optimisé pour ce rôle. Ce calibre serait donc capable d’atteindre l’altitude requise, et en supposant que son enveloppe d’engagement est une sphère, d’interdire un cylindre de 7km d’altitude et 8km de rayon aux drones ennemis. Cela suppose néanmoins que l’arme soit assez précise, pour que le volume d’effet de l’obus (qui idéalement devrait embarquer des billes comme l’A3B) soit plus grand que l’erreur de localisation de la cible venant des capteurs combinée à l’imprécision de l’arme. A défaut, il faudra tirer un grand nombre d’obus pour une seule cible.

Le Draco est resté à l’état de projet, mais Oto Melara (maintenant Leonardo) a fait évoluer sa gamme de 76mm naval depuis. En particulier, ils ont développé la tourelle 76mm Sovraponte qui équipera prochainement la marine italienne, et qui est une tourelle de 76 non pénétrante avec une masse réduite (6t) et 76 munitions prêtes au tir, un net progrès par rapport aux 12 obus prêts au tir sur le Draco (pour une tourelle de également 6t).

La masse réduite du Sovraponte permet d’envisager son intégration sur véhicule, certainement sur 8×8 et probablement sur 6×6 (la tourelle du Jaguar fait 4t en ordre de marche). L’idéal serait une intégration sur chassis Griffon, par exemple en remplaçant le compartiment arrière comme vu sur les concepts RapidFire plus haut. Un tel système permettrait de couvrir une surface importante, permettant de garder l’échelon d’assaut d’un GTIA à l’abri des regards par exemple, ou de couvrir une partie de l’échelon de découverte (par exemple les VBMR MEPAC) si elle n’est pas trop dispersée. Dans le cadre de TITAN/MGCS, on pourrait même envisager une intégration sur chassis chenillé afin d’avoir la mobilité suffisante pour couvrir les chars.
En bonus, le 76mm offre une capacité de tir indirect jusqu’à 16km, et peut donc servir d’artillerie complémentaire. Leonardo propose deux obus spéciaux pour le système, le DART, qui est un obus anti-aérien guidé sur faisceau, plutôt destiné à un rôle naval contre des missiles manoeuvrants, et le Vulcano, un obus sous-calibré guidé GPS avec une portée de 40km. Même si leur coût plus élevé et leur emploi spécifique ne les feront pas remplacer les obus classiques, en emporter une poignée de chaque peut se révéler intéressant, respectivement pour engager un avion de combat ou atteindre un objectif à plus longue portée.
Pour revenir à l’actualité, Oto Melara est en vente et Nexter a proposé de racheter l’entreprise ce qui rendrait le Sovraponte plus français, et donc pourrait lever des freins en terme de politique industrielle. Et ce d’autant plus que le coût d’un Rapidfire est apparemment proche de celui d’une tourelle de 76.
Les missiles
L’armée de Terre ne dispose plus que d’un seul type de missile sol-air, le Mistral. Ce missile à guidage infrarouge est suffisamment léger pour être emporté par un fantassin, et est capable de frapper une cible à 6.5km de distance ou à 3.5km d’altitude. Il est prévu de l’intégrer sur les blindés Serval. L’intégration sur un tourelleau permettrait de pointer automatiquement le missile vers une piste issue du réseau et donc de raccourcir le temps de réaction.
Le prix élevé et donc la quantité limitée de missile les rend inadaptés à la lutte anti-drone, le rôle où le Mistral est le plus efficace est probablement la lutte anti-hélicoptère, qui constituent des cibles à haute valeur et volant bas.
Côté armée de l’air, elle dispose de systèmes Crotale (~10km de portée) et Mamba (avec des Aster 30 à longue portée).
L’introduction d’un missile plus lourd que le mistral, porté sur un véhicule à haute mobilité, permettrait d’engager des hélicoptères à plus longue distance par exemple, ce qui serait utile maintenant que leur missiles antichars atteignent souvent 10km de portée. On trouve la trace d’un concept similaire dans Artimag 23, avec ce qui ressemble à un Crotale porté sur un Griffon:

Le crotale commençant à accuser son age, un nouveau missile sera probablement développé. Cela permettra de compléter la gamme des missiles surface-air français, qui souffre d’un trou béant entre le Mistral et le Mica VL, et conduit par exemple Naval Group à intégrer des missiles américains RAM pour combler ce manque.
Les roquettes guidées laser
La roquette guidée laser de 70mm est à mi-chemin avec le missile et la roquette, avec un prix bien inférieur à un missile (20 000$ pour l’APKWS américaine) mais une précision métrique et une portée d’environ 5km. La version produite par Thales doit équiper le Tigre standard 3 et probablement le Patroller à l’avenir. En plus de son utilisation en air-sol, BAe systems a testé une version anti-drone en ajoutant une fusée de proximité.
Le plafond pratique est probablement assez faible et le guidage semi-actif laser ne permet pas son emploi au-dessus des nuages, néanmoins des véhicules emportant des roquettes guidées laser pour un usage sol-sol pourraient fournir une capacité intermédiaire anti-drone, pour le coût uniquement de l’ajout de la fusée de proximité.
L’énergie dirigée
[Cette section a été mise à jour le 12 Avril suite à un complément d’informations]
L’utilisation des lasers de puissance à des fins militaires est une vieille idée, et le programme américain de “Guerre des étoiles” dans les années 80 leur réservait une place de choix. Depuis lors, l’intérêt a décru mais les progrès du secteur civil ont ramené le sujet sur le devant de la scène, pour des applications tactiques. L’US Army par exemple s’est dotée d’une trame complète de lasers pour la défense aérienne courte portée:
On trouve dans cette trame des laser de 50kW sur porteur 8×8 Stryker, destinés à la lutte antidrone et également à abattre les obus d’artillerie ennemis. A l’autre extrémité, un laser de 300kW sur camion est sensé apporter une protection beaucoup plus étendue contre les feux indirects, et être capable d’engager des aéronefs à haute altitude. Le premier prototype devrait être livré en 2022.
Coté français, les premières expérimentations du laser HELMA-P de la société CILAS ont montré qu’il est capable d’abattre un petit drone à une distance de 1km:
Des premières expérimentations sur navire de combat devraient avoir lieu en 2022. A plus long terme, CILAS travaille sur un HELMA-XP de 100kW qu’ils espèrent développer pour 2027. Une version sur 4×4 a été présentée:

L’intérêt du laser repose sur un coût par tir nul, ce qui laisse penser qu’il est très adapté pour engager une nuée de drones pour un coût limité. C’est néanmoins un raccourci: ce qui compte, ce n’est pas le coût par tir, c’est le coût total d’un système capable de détruire un nombre donné de cibles. Cela dépend du coût fixe du système, du coût par tir, et de l’efficacité des tirs. Ces deux derniers facteurs, combinés au nombre de cibles dans le scénario d’engagement de référence, dimensionnent le stock de guerre à maintenir. Il faut également y ajouter les coûts liés à l’entrainement et au maintien en capacité opérationnelle en temps de paix. Le laser présente un coût par tir nul, et ne demande pas de créer un stock ni pour l’entrainement ni pour la guerre, mais le coût fixe du laser de puissance peut être élevé. A l’opposé, un système missile a un coût fixe faible mais un coût très élevé par tir, ce qui limite les possibilités de tirer pour s’entrainer. Le coût des capteurs doit être également ajouté à l’équation, dans tous les cas considérés. Bref, les choses ne sont pas si simples.
Le laser ne peut pas non plus totalement remplacer les armes à feu. Bien qu’il soit possible d’engager des cibles au sol avec un laser de puissance, et que cela peut même être avantageux dans certains cas, par exemple si l’on veut rester discret ou avoir un effet extrêmement maitrisé, le laser ne permet pas d’effectuer un tir de suppression ou d’avoir un effet derrière un couvert comme peut l’avoir une munition airburst. Si l’on veut maintenir ces capacités sur le même porteur il faut ajouter au coût du laser celui d’un tourelleau supplémentaire par exemple, alors qu’avec un tourelleau canon capable de lutte anti-drone les coûts sont partagés entre les deux capacités. La tourelle laser prend de plus de la place sur le toit des véhicules, place qui est assez rare sur les véhicules Scorpion. Néanmoins, il est possible de contourner ces contraintes en intégrant l’arme laser au tourelleau conventionnel. Dans ce cas, il n’y a pas besoin de dupliquer les optiques, ce qui réduit le cout, et il n’y a plus de problème d’encombrement et de masquage réciproque comme dans la solution à deux tourelleaux. Le laser devra par contre supporter les vibration dues au tirs de l’arme à feu.
La génération de puissance électrique peut également prendre du volume en caisse, néanmoins il est possible d’intégrer la génératrice au bloc moteur, ce qui est déjà le cas sur les véhicules à propulsion hybride. De plus, en restant dans des gammes de puissance raisonnables, l’énergie du laser peut être stockée en batterie. Un laser de 1kW comme HELMA-P qui engagerait un essaim de drones pendant deux minutes en continu (soit une douzaine de cibles à raison d’environ 10 secondes par cible) nécessiterait 240kJ d’énergie, soit 70 Wh, à supposer qu’il ait une efficacité de 50% (atteignable pour les laser à diode de puissance). C’est largement à la portée d’une batterie de poids lourd.
De plus, le laser ne fonctionne pas sur l’ennemi vole au-dessus de la couverture nuageuse, ce qui fait qu’une nuée de drones ailés peut se placer au-dessus de la force sans qu’elle n’y puisse quelque chose, et déjouer un cordon de lasers placés en barrière. Certes, ces munitions rôdeuses ou autres drones d’observation ne verront pas à travers les nuages non plus, mais elles pourront redescendre et frapper les arrières si ils ne sont pas protégés.
La capacité d’engager les obus et les roquettes ennemies est par contre un avantage réservé au laser, mais nécessite un système conséquent.
Au final, le laser n’est donc pas forcément la solution magique. Sa compétitivité dépendra principalement du coût fixe du système, qui devra être suffisamment bas pour que le coût global de la capacité soit moins élevé qu’avec des tourelleau airburst par exemple.
L’énergie dirigée comprend aussi les systèmes de micro-ondes haute puissance, comme le système THOR de l’US Army ou celui embarquable sur véhicule léger que Thales propose. Néanmoins les limitations sur la polyvalence, le coût et l’encombrement supplémentaires, ainsi que sur le besoin de génération électrique, sont plus marquées, vu qu’il est nécessaire de monter une très large antenne sur le véhicule.
Le drone anti-drone
MBDA a annoncé en 2021 le développement d’un système de drone anti-drone, pour lequel un drone intercepteur irait rapidement à la rencontre de la cible et la détruirait par la force de l’impact. La système devrait entrer en production en 2022. L’Agence Innovation Défense a lancé un appel à projets sur le même sujet.
Le concept est extrêmement intéressant, car il marie un coût marginal par tir faible (du même ordre que le drone à abattre ou même moins cher si l’optronique de l’intercepteur est simplifiée), un coût fixe quasi nul (le conteneur pour les intercepteurs), et très peu de contraintes sur le porteur (pas de recul, masse faible, le conteneur des intercepteurs n’a pas forcément besoin d’un emplacement avec une vue dégagée). L’acquisition et le suivi de la cible par l’intercepteur sont un problème, mais on peu apporter des solutions élégantes en désignant la cible au drone avec un laser emporté par le véhicule, ou en télécommandant l’intercepteur pour qu’il chevauche la ligne de visée de l’optique du véhicule. Dans les deux cas, cela permet d’amener l’intercepteur très proche de la cible, où une simple caméra avec un illuminateur peuvent prendre le relai pour la phase terminale. Ces solutions fortement guidées depuis le sol peuvent être néanmoins limitées face à des drones au-dessus de la couverture nuageuse.
La société canadienne AerialX a déjà créé un drone intercepteur, le droneBullet:

On peut imaginer disposer de deux modèles différents d’intercepteurs:
– un petit, à courte portée, destiné à intercepter les munitions rôdeuses en phase terminale et les petits hélidrones de reconnaissance, et embarqué sur un maximum de blindés. L’efficacité contre une munition rôdeuse beaucoup plus grosse que le drone intercepteur pouvant être limitée, l’emport d’une charge explosive est une possibilité.
– un plus gros, destiné à aller chercher les drones ailés de plus grande taille, même si ils volent à leur plafond de 7km. Il lui faudra davantage d’énergie pour monter à cette altitude, et assurer une bulle d’une petite dizaine de km autour du porteur, qui serait pour le coup un véhicule dédié à la lutte anti-drone.
Les concepts révélés par MBDA pour sa solution SkyWarden ont une portée de 1km, avec une extension envisagée à deux ou trois km. L’intercepteur dispose d’une liaison de données et d’un capteur optique pour le guidage terminal.

Conclusion
L’analyse des besoins et des solutions fait ressortir une solution différenciée pour la lutte anti-drone:
- Une première bulle de protection très courte portée et très basse altitude, destinée à abattre les hélidrones légers et les munitions rôdeuses en phase terminale. Cette protection doit idéalement couvrir chaque section et chaque véhicule précieux, donc doit être disséminée sur toute la force. Cela requiert un coût par système faible. Les effecteurs les plus adaptés sont donc soit des petits drones intercepteurs, soit des tourelleaux avec munitions airburst, par exemple des lance-grenades automatiques de 40mm ou des canon de 30x113mm. Ces dernières solutions auraient pour effet bénéfique de renforcer le volume de feu sol-sol également. Cela étant, les capteurs devront également être disséminés et peu chers, donc leur distance de détection risque d’être très limitée. Le gain de portée du 30×113 en anti-drone n’est alors pas forcément intéressant en pratique. Le laser peut également avoir un intérêt, mais son coût est une grande inconnue.
- Une bulle moyenne portée moyenne altitude, pour empêcher l’ennemi de maintenir des yeux au-dessus de la force. Il faut alors lui interdire un volume jusqu’à 7km d’altitude, sur toute la surface occupée par le GTIA et même quelques kilomètres en avant, et de le faire face à un nombre potentiellement très élevé de cibles. Pour ce faire, deux solutions offrent une capacité tous-temps et un coût système contenu: un drone intercepteur de fort gabarit, ou une tourelle compacte de 76mm. Le second impose plus de contraintes sur le porteur mais a l’avantage de la polyvalence. Les capteurs ne seront probablement pas limitants pour cet usage, puisque qu’on peur se servir d’un seul radar assez puissant comme le GM60 pour détecter les objets volant à moyenne altitude.
Enfin, pour un autre angle de vue sur le sujet, je vous invite à lire l’article complémentaire La lutte anti-drone à Eurosatory 2022.
Je vous remercie pour cette synthèse très intéressante mais j’aimerai apporter quelques remarques à titre personnel aux informations relatives à l’arme laser HELMA-P sachant qu’elles n’ont pas été vérifiées auprès de l’entreprise qui les fabrique, CILAS, en l’occurrence.
– le coût : aborder le sujet sans donner de chiffre ni sur le système lui-même ni sur les autres systèmes me semble hasardeux. Une comparaison est faite des coûts fixes avec les rails de lancement d’un missile. C’est très réducteur car un missile a besoin d’un peu plus que deux rails pour partir. Il faut également des systèmes de contrôles, de guidage, etc. De plus un coût total doit prendre en compte le MCO, les infrastructures, le personnel pour servir l’arme, etc. Je pense que les coûts fixes d’un laser sont parfaitement raisonnables, au contraire.
– quand vous évoquez le coût du générateur électrique qui est loin d’être bas, je pense que vous ne connaissez pas votre sujet. Je vous invite à prendre contact avec moi pour corriger les informations erronées que vous possédez.
– le coût des capteurs ? lesquels ? Si c’est le radar, il est le même pour tous.
– Polyvance : comment pouvez-vous affirmer que cette arme n’est pas polyvalente ? et sur quels critères appuyez-vous votre comparaison sur la polyvalence ? En quoi un laser sur tourelleau ne peut-il pas tirer en l’air ou au sol ? Les capacités de tir n’ont-elles pas besoin systématiquement de tourelleau comme l’airbust que vous citez ? Et ces capacités de tir ne prennent-elles pas de place sur les véhicules ? Pour l’énergie électrique, comme ci-dessus, je crois que vous devez mettre à jour vos informations.
– Concernant la couverture nuageuse, la réponse à votre objection est dans votre propre texte : les munitions rôdeuses ou autres drones d’observation ne verront pas à travers les nuages non plus. Il faudrait préciser ce que signifie “situation confortable”
– Votre conclusion sur “le laser n’est pas une bonne affaire” me laisse pantois. A l’évidence vous n’avez aucune idée des prix de quelque système que ce soit. Votre affirmation est parfaitement arbitraire.
Conclusion : votre article aurait pu relever de davantage d’objectivité. Vous manquez à l’évidence d’informations. C’est un article à charge qui en dessert la crédibilité. C’est dommage.
Je vous renouvelle donc mon invitation à prendre contact avec moi et je pourrai vous communiquer des informations qui vous aideront à faire un article plus juste sur l’arme laser.
LikeLiked by 1 person
Bonjour, merci pour votre retour. Je suis tout à fait d’accord sur le fait que le coût doit se calculer sur la capacité globale et donc inclure les capteurs et tout le reste. Concernant le coût du laser, je n’ai effectivement pas d’informations sur de la part de CILAS et donc je serai ravi d’en apprendre plus sur le sujet, je vous envoie un mail.
LikeLike